Rive-Gauche du Rhône à Lyon : la Part-Dieu à Travers les Âges

Maud ROY

 

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période II : 1571 / 1725, MAISON - FORTE

La seconde moitié du XVIe siècle est une période charnière pour la résidence de la Part-Dieu.

Jehan Le Mort achète le site le 8 juin 1571 comme cela est précisé dans un inventaire des titres datant de 1725.

«…vente en parchemin de la terre de la Partdieu fait par Emerrade de Gondy en faveur de Jean Le Mort avec la ratification du sieur de Rosselet ledit contract du 8e juin 1571 signé en expédition Yver et son confrère notaires à Paris…».

La Part-Dieu n’appartiendra désormais et jusqu’en 1725 qu’à des membres de la noblesse et Jehan Le Mort est le premier noble, puisque ce qualificatif est utilisé dans son acte de mariage.

Cet homme n’est pas originaire de la région, il vient de Paris où il a la charge de secrétaire ordinaire de Catherine de Médicis, d’ailleurs il ne séjourne que très rarement dans sa maison forte. Et comme le précise le texte figuré ci-dessus, il ne s’est pas déplacé de Paris pour faire son acquisition, il est représenté par quelqu’un. Cette personne n’est autre que le sieur de Gondy, noble appartenant à une famille très importante de Lyon à cette époque, venue de Florence à la fin du XVe siècle. Plusieurs membres sont des banquiers et proches de Catherine de Medicis. Il est plus que probable que Jean Le Mort soit d’origine italienne puisqu’il épouse en 1575 Françoise Tasquini "de feu noble Anthoine Tasquini en son vivant citoyen florentin". Le nouveau détenteur appartient donc à une sphère différente des précédents possesseurs.

On passe du monde des négociants à celui de l’aristocratie et c’est cela qui va faire évoluer le statut de la Part-Dieu. Un noble ne peut habiter qu’un bien noble.

C’est également à partir de cette période et plus exactement en 1586, que la Part-Dieu devient une maison-forte, car Jehan-Le-Mort fait une demande de décharge de taille sur la Part-Dieu. Cet acte signifie que ce site est dégagé de tout impôt, car il ne sied pas à un noble de s’acquitter d’une telle redevance.

Mais qu’est-ce qu’une maison forte  ?

D’après le Dictionnaire Universel de Furetière, datant de 1690, “la maison forte est un château fossoyé ou fortifié à l'antique qui se peut défendre des coups de mains”. Cette définition tardive assimile maison-forte et château, il s’agit donc d’un bien noble. L'accent porte sur la symbolique des moyens défensifs, car la maison forte peut se défendre contre de petites attaques. Mais cela signifie aussi que l’aspect défensif se développe et que son propriétaire pourvoit la Part-Dieu d’éléments de défense. Cette fortification des lieux est un geste ostentatoire, mais il peut aussi servir à protéger efficacement les récoltes conservées dans des bâtiments dépendants. Ces structures sont présentes sur le plan scénographique du XVIe siècle. Du point de vue morphologique, une seconde tour a dû être mise en place, car dans la région Lyonnaise, les maisons fortes en comportent toutes au moins deux.

Du point de vue de l’organisation interne du corps de logis principal, il y avait une grande salle, celle-ci pouvait d’ailleurs exister dans la tour d’origine. Les résidences seigneuriales, à l’image des châteaux, comportent toutes cet espace symbolique de représentation que constitue la grande salle. Il s’agit d’un espace particulier et privilégié. Particulier, car le détenteur reçoit là des hôtes de marque. Privilégié, car il souhaite exposer là sa puissance, avec son plus beau mobilier et une grande ornementation d'ordre architectural ou pictural.

Les châteaux et les palais possèdent tous une pièce spacieuse et richement décorée. Ainsi, La grande salle de l'Échiquier du château de Caen, de 330  m2, construite par Henri II, montre encore une belle ornementation telle qu'une porte romane très ouvragée ou encore des fenêtres hautes pourvues de colonnettes. Plus récente, la grande salle du château d'Annecy, située dans le corps de bâtiment appelé le Vieux-Logis, très spacieuse et à fonction de réception, se développe sur une surface de près de 325 m2. Dès le XIVe siècle, son détenteur la décore richement avec des fresques notamment. Le confort n'est pas étranger à ce lieu, car une belle cheminée et cinq fenêtres à coussièges occupent un de ses murs. La maison-forte de la Part-Dieu possède ce type de structure, car dans un texte tardif datant de 1808 elle est mentionnée par les termes de “vieille salle”.

Ces exemples, comme d'autres, émanent d’un modèle : le palais de Charlemagne à Aix-La-Chapelle. La grande salle de Charlemagne appelée aussi Aula Palatina consiste en un vaste espace de plus de 47 m de long par 20 m de large, soit 940  m2. Les châtelains, puis tous les membres de la noblesse jusqu'aux petits seigneurs, déclinent le modèle du palais carolingien en reprenant les espaces aux fonctions les plus importantes, à savoir une grande pièce semi-privée, semi-publique à l'image de la Aula Palatina, un espace privé réservé à la famille ou camera et pour les châteaux ou certaines résidences, une chapelle privée ou capella.

La maison-forte est donc comme une sorte de château en réduction, elle possède moins de tours, moins de défense et un statut plus bas juridiquement. Par contre, à la différence des granges, le niveau défensif est plus important et du point de vue du statut, la maison-forte n’est pas forcément dépendante d’une grande seigneurie et son détenteur peut avoir des vassaux.

«…La 8e decharge des tailles sur la Part Dieu en 1586…»

D’ailleurs, Jehan Le Mort rachète également l’hommage qui portait sur la résidence, de sorte qu’elle redevient un franc-fief comme elle l’était au tout début de son histoire. Elle gardera ce statut jusqu’à la Révolution. En effet, en 1150, au moment de la donation du site au monastère Saint-Irénée, la Part-Dieu était en franc-alleu, sans dépendre d’aucune autre seigneurie. C’est à partir du XVe siècle que le détenteur acquit des droits pour son domaine. Ainsi, le possesseur avait “des droits de chasse dans les fonds et de pêche dans les laones des brotteaux allentours”. Par ailleurs, il avait aussi des prérogatives sur le ruisseau de Fuer sur toute sa longueur et personne ne devait faire paître ses animaux ou les faire séjourner sur les terres de la maison-forte de la Part-Dieu. Cette maison-forte était par contre dénuée de droit de justice, l’archevêque gardant cette prérogative à cause de la Tour Béchevelin. D’après la documentation, il apparaît, bien que cela ne soit pas très clair, que des fiefs soient dépendants de la Part-Dieu, comme la Corne de Cerf, l’Émeraude, la grange de la Tête-d’Or et la Blancherie. Tous ces sites n’existent plus, mais des rues ou des parcs actuels portent encore leurs toponymes.

D’après l’inventaire des titres de la Part-Dieu datant de 1725, le site semble en piteux état lorsque Jehan-le-Mort devient possesseur des lieux. Ainsi ce document mentionne une pièce d’archives portant sur ce sujet. 

«… la quatrième l’original d’un état fait par charpentiers et maçons des ruines de la Part-Dieu…»

Cet extrait de texte signifie que la résidence de la Part-Dieu connaît une grande phase de reconstruction ou de restauration peu de temps après son acquisition par Jehan Le Mort. Il apparaît que cette opération s’avère nécessaire puisque le mot de “ruines” est utilisé pour qualifier ce qui subsiste du site. Les précédents détenteurs n’ont donc pas conservé la Part-Dieu avec beaucoup de soins. Leur intérêt pour la Part-Dieu devait être essentiellement focalisé sur son terroir, ils devaient certainement habiter ailleurs, par exemple sur l’autre rive du Rhône. Mais avec cette phase de travaux qui transparaît au travers de cette phrase on voit qu’en cela son détenteur pratique la même politique qu’un certain nombre de détenteurs de résidences seigneuriales sur le territoire de la Guillotière.

En effet, à cette époque, la Guillotière se transforme et le propriétaire de la Part-Dieu participe à ce changement. Ainsi les détenteurs de Gerland, de la grange de la Tête-d’Or, des Tournelles transforment leurs habitations. Pour certains, il s’agit de l’ajout d’une galerie, ce qui est le cas de Gerland, pour d’autres c’est une réorganisation presque totale, comme les Tournelles. La galerie est un moyen de circulation très apprécié par les détenteurs des propriétés de la Guillotière mais ce type de dispositif intervient un siècle après la mise en place des premières galeries dans le quartier Saint-Jean de Lyon.

Mais on peut se demander à quoi correspond la Part-Dieu repensée par Jehan Le Mort.

Des plans permettent de répondre à cette question et de projeter une hypothèse pour l’aspect en élévation du bâtiment principal.

En observant le plan, on voit que la maison-forte de la Part-Dieu correspond bien aux caractéristiques de son statut.

Elle possède à la fois un espace résidentiel avec un corps de logis principal et une cour noble, des moyens défensifs constitués d’une muraille, dont on sait par ailleurs qu’elle était crénelée, des tours dont une vaste tour porche formant un avant corps, un large fossé qui pouvait être rempli par les inondations du Rhône, et des structures agricoles dont une grande halle située dans la partie noble de la maison forte et d’autres constructions agricoles enserrant une cour secondaire.

Ce genre d’organisation se retrouve pour plusieurs maisons-fortes de la région où il y a une séparation matérielle entre l’espace habitable fréquenté par le détenteur et ses hôtes, et l’espace agricole où travaillent les serviteurs et où les produits agricoles arrivaient en charrettes. L’ensemble de la maison forte occupe une superficie de plus de 10 000 m2, il s’agit d’une des plus grandes résidences des environs et pour avoir un ordre d’idée un terrain de football possède une surface un peu plus petite.

La partie réservée à l’agriculture correspond environ aux deux tiers de l’ensemble.

Cette maison-forte comprend trois passages couverts, le premier sous la tour-porche, le deuxième à proximité de l’habitation qui permettait d’accéder aux structures autour de la cour secondaire et un troisième mis en place pour se rendre directement aux champs.

je me demande s’il ne faudrait pas ou si ce ne serait pas mieux de mettre ce plan et le texte dans la partie suivante «habitation» ??